Pour Auriane Clostre, ingénieure et co-fondatrice de Stim, un collectif de 25 inventeurs, designers et chercheurs engagés dans la bifurcation environnementale des grandes industries françaises, cette perte systémique de mémoire nous empêcherait de prendre la mesure de la catastrophe écologique.

Amnésie, du grec amnesia, est une perte partielle ou totale de la mémoire. C’est un état pathologique qui peut être permanent ou transitoire. Au regard de l’écologie, nous sommes tous – ou presque –, sans en être conscients, atteints de cet état.

L’amnésie écologique (ou amnésie environnementale) renvoie au fait que chaque génération prend comme référentiel environnemental l’état de la nature à sa naissance. Ainsi, nous ne prenons conscience de la dégradation du vivant qu’à l’échelle de notre vie.

Glissement de référentiel

Lorsqu’on évoque l’extinction de la biodiversité, c’est d’abord le choc des chiffres qui prévaut. Depuis 1970, le déclin moyen des vertébrés est de 69 %, 75 % des milieux terrestres et 40 % des écosystèmes marins sont fortement dégradés

, nous sommes entrés dans la sixième extinction de masse, 41% des amphibiens, 13 % des oiseaux et 27 % des mammifères sont menacés d’extinction au niveau mondial

… La liste est longue.

Après le choc, c’est l’incrédulité : comment un effondrement si violent et si rapide peut-être toléré ? Pourquoi ne portons-nous pas davantage d’attention à ce sujet ? L’une des principales raisons se trouve dans le concept initié par le scientifique franco-canadien Daniel Pauly lors de ses recherches sur les ressources halieutiques (ressources vivantes exploitées par l’homme). Face à des pêches de moins en moins abondantes, les pêcheurs changeaient leur base de référence et au fil des générations, l’ampleur de la baisse d’abondance (due à la surexploitation humaine) était masquée par ce glissement de référentiel. Le terme anglais « Shifting baseline » est particulièrement explicite pour désigner ce phénomène.

A chaque génération son amnésie

A cause de cette amnésie écologique collective, nous ne portons pas la mémoire de ce qui fût et prenons encore moins la mesure de la somme des dégradations subies par le Vivant.

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